CHAPITRE X
Je ne doute pas qu’Annabelle ait préparé un dîner merveilleux et je suis vraiment désolé d’avoir subitement perdu l’appétit. Elle m’assure qu’elle s’en fiche totalement et je la crois jusqu’à l’instant où je surprends le regard furieux qu’elle lance au poulet frit pratiquement intact et aux crêpes Suzette refroidies qui commencent à se friper sur les bords.
— Je vais vous faire une proposition, mon cœur, dis-je en m’efforçant âprement de mettre un peu d’entrain dans ma voix qui est devenue de plus en plus lugubre au cours de la soirée. (Mais elle sonne encore, même à mes propres oreilles, comme le lamento d’un pleureur à gages.)
— Quoi donc ? demande-t-elle froidement.
— Vous allez vous installer bien confortablement au salon pendant que je ferai la vaisselle.
Je suis sûr qu’elle va protester que la place d’un homme n’est pas à la cuisine et je compte m’incliner gracieusement.
— D’accord, dit-elle. Je peux faire marcher l’électrophone ?
— Mettez donc… (Je me reprends à temps.) Tous les disques que vous voudrez, mon cœur.
La vaisselle me prend un temps fou, en grande partie parce que de temps en temps je m’arrête trois bonnes minutes pour me reposer les bras et que j’éprouve le besoin de m’asseoir chaque fois que j’ai soulevé un objet un peu plus lourd qu’une cuiller à café. Je finis pourtant par en venir à bout et reviens lentement au salon. L’électrophone joue quelque chose qui pourrait s’appeler « Musique pour gâcher une soirée ». Je n’y vois rien et une sensation de brûlure et de picotement sous les paupières me paraît confirmer mon diagnostic : je suis devenu aveugle.
Je reste figé sur place à me demander comment je pourrai conduire ma voiture en me guidant sur les aboiements d’un chien d’aveugle. Environ deux minutes plus tard, je comprends ce qui s’est passé : Annabelle a tout éteint sauf une petite lampe qu’elle a posé par terre derrière le divan. Cette faible lueur finit par atteindre mes yeux congestionnés par l’effort.
J’ai retrouvé la vue, c’est toujours ça, mais bon sang ! où est passée mon invitée ? Une série de battements de paupières accélérés me permet de garder les yeux ouverts le temps d’inspecter la pièce d’un regard circulaire… et de découvrir Annabelle, étendue sur le divan, juste devant moi.
— J’ai cru que vous n’en finiriez jamais, mur-mure-t-elle tendrement. Venez vous asseoir, mon chéri… Venez tout près.
M’asseoir, ce serait facile, mais arriverais-je jamais à me relever ? Je m’installe doucement sur le divan et y reste paralysé. Dix minutes plus tard, Annabelle reprend la parole.
— Voulez-vous que je vous dise, mon petit Al ?
Je décèle, non sans terreur, que sa voix a changé.
Tout à l’heure elle n’était que tendre, maintenant elle est carrément langoureuse.
Je croasse :
— Oui, mon chou ?
— Nous autres, filles du Sud, au fond, nous sommes de grandes sentimentales. Regardez l’effet que m’a produit cette musique. Maintenant je suis absolument sans défense. (Elle rit doucement.) Vous vous rendez compte ! Sans défense ! Moi qui vous ai rembarré mille fois au bureau… Et maintenant… (Elle soupire.)
Un simple coup d’œil confirme mes pires craintes. Annabelle est allongée dans une position voluptueuse et le fait que sa jupe est remontée si haut qu’on l’aurait prise pour une sous-ventrière ne paraît pas la gêner le moins du monde.
Quand une femme s’allonge, automatiquement, sa jupe remonte. Il semble qu’il y ait là-dedans une sorte de logique inexorable. Mais comment se fait-il qu’en même temps les boutons de son corsage s’ouvrent tous à la fois ? Le soutien-gorge de dentelle bleu pâle est, je dois en convenir, nettement affriolant, mais pourquoi a-t-elle pris la peine de le… ?
— Vous êtes si loin, murmure-t-elle d’une voix rauque.
Elle me tire doucement mais fermement par l’épaule. Je ne proteste pas, je sais que si nous commençons, juste à ce moment, à nous disputer, elle me tuera. Je laisse donc glisser ma tête au creux d’une vallée embaumée que dominent deux pics neigeux. Je me dis, dans un dernier éclair de lucidité, que c’est la première fois que je vois des cimes neigeuses d’en bas, puis la marée se met à monter brusquement, sans crier gare, en flots impétueux, et pendant quelques secondes je crois que je me suis noyé. Enfin je réussis à rouvrir les yeux.
Annabelle Jackson, vêtue de pied en cap, se tient debout devant moi tenant à la main un verre à moitié vide dont elle a versé l’autre moitié sur ma figure.
— Il est minuit et quart, dit-elle d’une voix polaire. Je rentre chez moi !
— Hein ? fais-je spirituellement.
— Bonne nuit !
— Heu… (Je hoche vaguement la tête.)
Dans l’entrée, elle se retourne vers moi et me regarde d’un air médusé.
— Je sais bien que vous prétendez vous être amendé, Al Wheeler, dit-elle lentement. Mais à ce point, c’est ridicule.
La porte de l’appartement claque derrière elle et je me demande si ça vaut la peine de m’arracher du divan pour aller me mettre au lit : je n’ai pas tranché la question quand le téléphone se met à sonner et, à ma grande surprise, je me sens mieux quand j’ai enfin réussi à me remettre sur pied.
— Allô ! Ici Wheeler, dis-je en décrochant.
— Allô… (Je reconnais instantanément la voix, mais elle est bizarrement hésitante.) C’est Hilda Davis, la femme de chambre des Mayer.
— Bonjour, dis-je faiblement.
— Pour l’amour du Ciel, venez vite. (Sa voix grimpe brusquement d’une octave.) Vite ! Ou ils vont nous tuer tous !
— Quoi ? (Ses paroles m’atteignent en plein plexus solaire et le choc me ramène à l’existence.) Qui est-ce qui va nous… ?
— Il faut que je raccroche, dit-elle d’une voix aiguë et terrorisée. Dépêchez-vous, Al !
J’appelle la téléphoniste, lui demande d’appeler Lavers, de laisser sonner jusqu’à ce qu’il réponde, de lui dire que j’ai reçu un coup de téléphone affolé de chez les Mayer, que je n’ai pas pu comprendre de quoi il retournait et que je vais là-bas voir ce qui se passe.
Puis je prends dans le tiroir de mon bureau mon 38 plus une pleine boîte de cartouches pour le cas où il y aurait la guerre civile chez les Mayer.
Il y a longtemps que je n’ai pas conduit vraiment vite : je vais à tombeau ouvert, giflé par le vent, le pied au plancher dans les lignes droites et virant sur les chapeaux de roues. Je n’ai malheureusement pas le temps d’en jouir, mais ça décuple ma lucidité.
Les quelques mots que Hilda m’a dits au téléphone me trottent dans la tête, irritants comme un demi-souvenir qu’on n’arrive pas à compléter. Bien sûr, il faut tenir compte du fait qu’elle était terrorisée quand elle m’a appelé. Elle n’était pas en état d’entrer dans les détails – c’est entendu. Et elle voulait du secours au plus vite – d’accord.
Mais quelque chose continue à me tracasser.. « Ici, Hilda Davis, la femme de chambre des Mayer. » J’en connais combien des Hilda Davis ? Cette fille avec qui j’ai passé la nuit et à qui j’ai téléphoné plusieurs fois dans la journée, ne se serait jamais présentée de cette manière. Et si elle était terrorisée, c’était une raison de plus pour ne pas perdre de temps en mots inutiles.
Soudain, d’autres mots me reviennent à l’esprit et du coup je lâche l’accélérateur pour écraser le frein. Un jour, vous aurez une seconde d’inattention au mauvais moment et ça sera votre fête… » J’entends encore la voix haineuse de Dekker.
Tout en roulant, maintenant à un petit cinquante à l’heure, j’examine de nouveau la situation. Hilda Davis compose mon numéro, un canon de revolver collé sur la nuque. Derrière elle, un autre visage (celui de Dekker ou de Dieu sait qui) sourit férocement. Quelqu’un s’est dit : « Le gars Wheeler a le complexe du héros ; si une belle fille l’appelle au secours, il arrivera plus vite que les autres flics. Il est même fichu de retarder ses collègues, histoire d’être sûr d’arriver le premier. Il va déboucher devant la maison à cent à l’heure dans sa petite voiture de sport et il fera gueuler ses freins à la dernière seconde : tout le cirque. Et puis il va foncer vers le perron comme un bon petit boy-scout et pan, il bloquera une balle, si possible dans le bas ventre ! »
Je suis peut-être à huit cents mètres de chez les Mayer. Trente mètres encore et je suis débarrassé de mon complexe du héros. Je peux me garer dans une rue transversale et attendre l’arrivée de Lavers et des autres. Mais si je découvre ensuite que Hilda est morte deux minutes avant mon arrivée, je ne m’en remettrai jamais. Et il n’y a pas qu’elle. Comme Lavers me l’a rappelé dans l’après-midi, je suis responsable de tous les autres. C’est moi, le petit malin, qui ai envenimé les choses.
La question de principe étant ainsi réglée, reste à résoudre un problème mineur : comment entrer dans la maison – et y entrer vivant. Si tout ça n’est pas pure invention de mon esprit bouillonnant, s’il s’agit bien d’un piège et si on a déjà réussi une fois à m’appâter avec Hilda, on recommencera sûrement.
Je suis maintenant tout près de la maison et j’aperçois deux fenêtres éclairées au premier étage. Je n’ai ni le temps ni le chef d’état-major nécessaires pour établir un plan génial : je décide donc de faire, aussi longtemps que possible, exactement ce qu’on attend de moi.
J’écrase de nouveau l’accélérateur, arrive devant le jardin à cent dix, freine brutalement, vire sur deux roues en faisant hurler mes pneus, puis, une fois dans l’allée, j’accélère de nouveau à mort, faisant gicler le gravier derrière moi comme l’eau derrière un chriscraft.
L’énorme façade de la maison semble foncer vers moi et le perron illuminé par mes phares enfle comme une punaise dans une bande illustrée de science-fiction. Quelque chose bouge sous le porche et, le temps d’un éclair, j’aperçois Hilda qui écarquille les yeux dans la lumière aveuglante.
Je rétrograde en seconde, écrase le frein, braque brusquement sur la gauche, saute un petit fossé étroit et me retrouve, roulant tranquillement sur la pelouse, parmi les plates-bandes. Je longe le mur et, arrivé au coin, je freine, doucement, cette fois, quitte la pelouse, m’arrête sur le terre-plein cimenté, derrière la maison, coupe le contact et éteins mes phares. Je suis à trois mètres de l’entrée de service. Maintenant, il s’agit d’inventer le mouvement perpétuel : une cible mouvante est beaucoup plus difficile à atteindre qu’une cible immobile. D’un bond je me catapulte de mon siège à un mètre de la porte de service. Mon 38 à la main, je continue sur ma lancée et fonce contre la porte fermée. Je me fais un mal affreux et me demande si c’est la porte ou mon épaule qui a cédé avec ce craquement sinistre : c’est la porte, qui s’entrouvre un peu ; je la martèle à coups de crosses pour donner l’impression que tout un escadron de gendarmes foncent par là, puis je recule et me rue à toutes jambes vers l’entrée principale.
Cinq secondes plus tard, je tourne le coin de la maison et, collé aux briques de la façade, comme si je les aimais de passion je me faufile vers le perron. Il règne un silence de mort (expression que, vu les circonstances, je devrais éviter). Pas à pas, j’avance et, si je ne savais pas ce que c’est que d’avoir une trouille intense, j’en ferais là l’expérience.
Au bout d’un moment, j’entends un petit bruit qui vient du perron. Un son qui monte et descend suivant un rythme bizarre que je ne connais pas : c’est la voix d’Hilda qui jure inlassablement, avec un naturel et une invention tout à fait remarquables.
J’appelle :
— Hé ! C’est moi, Al Wheeler, lieutenant de police et bougrement nerveux pour le quart d’heure.
Il y a un silence stupéfait.
— Al ! finit par murmurer Hilda d’un ton ravi.
— Qu’est-ce qui se passe ?
— Il a cru que tu étais entré par-derrière. Moi aussi d’ailleurs. Il te cherche et il m’a laissée ici. Je suis ligotée à la rampe.
— C’est Dekker ?
— Il est comme fou !
Je bondis sur le perron sans plus faire de bruit qu’un nuage qui gambade gaiement dans l’azur. Hilda est ficelée à l’une des cinq lourdes barres métalliques de la balustrade ce qui a au moins l’avantage de la mettre à l’abri des coups de feu qu’on aurait pu tirer de la porte.
— Je reviens te ramasser tout à l’heure, murmuré-je. Du moins, je l’espère. Tu sais où il est ?
— Non. Il marche comme un chat.
— Tout est éteint au rez-de-chaussée ?
— Oui.
— Où sont les interrupteurs dans le hall ?
— Ils sont tous sur un panneau, à gauche en entrant. Celui du haut allume le hall, ceux d’en bas allument l’escalier et le corridor du fond.
— Ça, c’est une réponse précise.
— Sois prudent, hein !
— Merci du conseil !
J’ai essayé de prendre un ton d’ironie amère mais zéro : quand on chuchote, c’est très difficile.
Si Dekker croit toujours que je suis entré par la porte de derrière et me cherche là-bas, ça ira. Mais s’il a déjà fait demi-tour et revient devant… Bon, eh bien, on verra !
La porte est entrouverte et ça paraît presque trop facile. Je me mets à quatre pattes, puis à plat ventre et j’entre en rampant dans le vestibule où règne le noir absolu – mais si Dekker s’y trouve, ses yeux doivent être accoutumés à l’obscurité et il y voit beaucoup mieux que moi.
Je me relève d’un bond, me lance sur la gauche et cherche à tâtons les interrupteurs : ils sont exactement où m’a dit Hilda, et si rapprochés que je les sens tous les trois sous ma main ouverte.
Je respire un bon coup puis j’allume : Hal Dekker est planté sous la voûte de l’escalier, le dos tourné vers moi. Il réagit au quart de seconde et pivote : les canons sciés de son fusil de chasse scintillent.
— Lâchez ça ! dis-je à voix haute.
Dekker ne fait qu’accélérer le mouvement et les canons se braquent sur moi. Laisser sa chance à un type, c’est très joli quand on peut. Je viens de le faire mais je ne peux pas me permettre de recommencer. S’il tire avec son engin, non seulement il me tuera mais il me transformera en steak tartare.
Je vise soigneusement et tire. Je tire même deux fois : avec le coffre qu’il a, Dekker est foutu de trouver encore la force de tirer après avoir bloqué une balle de 38. Il en prend deux dans la poitrine, fait deux pas de côté en titubant puis s’effondre sur un genou. Son fusil lui échappe des mains, tombe avec un bruit de ferraille et, un instant plus tard, comme dans une mise en scène bien réglée, un très joli jet de sang, qui semble sortir d’une fontaine lumineuse, vient arroser le fusil.
Quand j’arrive près de lui, il a basculé et gît sur le flanc. Il n’est pas mort, mais, saignant comme il saigne, il n’en a pas pour une minute. Je m’agenouille près de lui. Ses lèvres se mettent à bouger ; il fait visiblement un violent effort pour parler mais il n’y arrive pas. Dix secondes plus tard, il est mort.
Je me rends compte soudain que Hilda hurle mon nom à s’arracher les poumons. Je lui réponds pour la tranquilliser et retourne sur le perron. Elle pleure à chaudes larmes.
— Al ! Je te croyais mort.
— Est-ce qu’il y a quelqu’un d’autre dans la maison ? fais-je d’un ton pressant.
— Je ne crois pas. (Elle frissonne convulsivement.) Personne de vivant en tout cas.
Pendant que je la détache, elle me raconte ce qui s’est passé.
Hilda s’est retirée dans sa chambre vers neuf heures et demie et s’est endormie presque aussitôt. Puis elle a été réveillée en sursaut par un cri, lui a-t-il semblé. Elle a mis un peignoir et est sortie de sa chambre pour voir ce qui se passait. Arrivée au haut de l’escalier, elle a vu George Mayer apparaître dans le hall et a couru le rejoindre. Il lui tournait le dos et n’a pas paru l’entendre quand elle l’a appelé. Elle l’a pris par le bras, il s’est retourné sans résister et elle a alors vu son visage : un visage pétrifié par la haine, aussi immobile qu’un masque mortuaire. Hilda a pensé qu’il était commotionné. Elle a essayé de le faire parler ou bouger, mais il se bornait à la repousser, comme on chasse une mouche.
Au bout de cinq minutes, Hilda n’en pouvait plus et elle est remontée chercher Janine Mayer. La porte de la chambre était ouverte et la lumière allumée. Hilda est entrée en coup de vent, a vu le cadavre de Janine Mayer en travers du lit et s’est évanouie.
Elle ne sait pas combien de temps elle est restée inconsciente mais quelques minutes après avoir repris connaissance, elle a réussi à se traîner hors de la chambre. Là, elle a entendu un pas lourd dans le hall et s’est précipitée vers l’escalier dans l’espoir que c’était la police, ou au moins quelqu’un à qui elle pourrait demander du secours.
Comme elle arrivait au haut des marches, il y a eu au rez-de-chaussée une terrible explosion, bientôt suivie d’une seconde. Hilda s’est mise à hurler puis a de nouveau entendu le pas lourd. Elle a dévalé l’escalier et, en débouchant dans le hall, s’est heurtée à l’énorme Hal Dekker qui sortait du salon et elle est tombée.
Dekker l’a aidée à se relever et elle a essayé de lui raconter ce qui s’était passé. Il l’a laissée bafouiller un moment puis lui a déclaré qu’elle n’avait plus à s’inquiéter pour Mayer : tout ce qui restait de son patron c’était « une charogne en bouillie sur le plancher du salon ».
Dekker lui a dit que c’était fini maintenant, mais qu’avant de partir il avait encore un compte à régler avec le nommé Al Wheeler, et elle allait l’aider. Elle m’a téléphoné avec les deux canons du fusil de Dekker collés dans le dos et tout ce qu’elle a pu imaginer, pour m’alerter, çà été de prendre un ton guindé et professionnel en se disant que Dekker, qui ignorait tout de nos relations, n’y verrait que du feu.
Une fois le coup de téléphone donné, Dekker l’a emmenée sur le perron, l’a attachée à la balustrade en l’appelant « appât vivant » et lui a ri au nez quand elle l’a supplié d’arrêter les frais.
— Tout ça, c’est sa faute, a-t-il dit avec une conviction passionnée. Wheeler m’a braqué contre George ; il a dressé Martin contre moi. Et il a dressé Kent Vernon contre Mayer et moi. Si nous devons tous crever, c’est justice qu’il crève avec nous.
Le dernier nœud qui l’attache finit par céder. Hilda me tombe aussitôt dans les bras et je regrette sincèrement de ne pas être d’humeur plus sentimentale. Dès que je peux le faire sans froisser personne je la repose sur ses pieds et lui dis de m’attendre ici pendant que j’explore la maison.
Un coup d’œil au salon m’apprend que Dekker a décrit l’état de Mayer avec une macabre exactitude. Je monte à la chambre où, comme l’a dit Hilda, Janine Mayer est allongée en travers de son lit, morte. Mais ce que Hilda n’a pas dit c’est que Janine Mayer a été tuée de la même façon que Hardacre : on l’a poignardée en pleine poitrine, puis on s’est acharné sur son cadavre…
Je vais retrouver Hilda et environ cinq minutes plus tard, les phares de la première voiture de police balaient l’allée.
— Je vais avoir des choses à faire, mon chou, dis-je. Le shérif sera ici dans un instant. Tu lui répéteras tout ce que tu m’as dit, ensuite tu rentreras en ville avec la première voiture qui repartira et tu te feras déposer chez moi.
— Comme tu voudras, Al, dit-elle doucement.
— Je ne tiens pas à voir le shérif. En tout cas pas maintenant. Il te demandera pourquoi je ne l’ai pas attendu. Dis-lui qu’il avait raison, cent fois raison et encore plus que ça.
— Et s’il me demande où tu es allé ?
— Dis-lui que je suis allé voir le metteur en scène !